Retour aux articles

Action directe : délai de prescription de recours du tiers payeur contre l’assureur de l’employeur, auteur d’une faute inexcusable

Civil - Responsabilité
Affaires - Assurance
29/11/2021
L’action directe d’une caisse primaire d’assurance maladie, qui indemnise la victime d’accident du travail ayant causé des dommages corporels, à l'encontre de l'assureur de l'employeur auteur d'une faute inexcusable, se prescrit par cinq ans et ne peut être exercée contre l'assureur au-delà de ce délai, que tant que celui-ci reste exposé au recours de son assuré.
Faits et solution

En l’espèce, l’un des salariés de la société Oxena est victime d’un accident de travail le 2 avril 2006, accident pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie.

Statuant sur la responsabilité de l’employeur, le Tribunal des affaires de sécurité sociale de Valence rend deux décisions. Par la première, en date du 25 juin 2009, la faute inexcusable de l'employeur est reconnue tandis que par la seconde, du 21 avril 2011, ledit tribunal liquide le préjudice de la victime tout en ordonnant une expertise complémentaire. La Cour d’appel de Grenoble confirme ces décisions sauf sur le quantum de l’indemnisation allouée.

Le 9 mars 2016, la CPAM assigne l’intermédiaire en assurance devant le tribunal de grande instance aux fins d’obtenir le remboursement de la somme versée à la victime au titre des arrérages échus. La société Generali IARD, assureur de l'employeur, est intervenue volontairement à l'instance. Par décision du 17 juin 2017, les juges mettent hors de cause l’intermédiaire et condamnent l’assureur à payer à la caisse l’ensemble des prestations versées à la victime (TGI Lons-le-Saunier, 17 juin 2017, n° 16/00379).

La cour d’appel confirme cette solution (CA Besançon, 17 mars 2020, n° 18/01591). Elle rejette l’argument de l’assureur selon lequel le délai de prescription opposable à l’action subrogatoire de la CPAM serait celui de deux ans énoncé à l’article L. 432-1 du Code de la sécurité sociale : d’après l’assureur, cette action permettrait à son auteur de disposer uniquement des actions bénéficiant à la victime de l’accident. Au contraire, estime la caisse, l’action en recouvrement des prestations versées à l’encontre de l’assureur est soumise à la prescription de dix ans applicable en matière de réparation des préjudices corporels.

Toutefois, ni le délai de deux ans ni celui dix ans avancés par les parties n’emportent la conviction des magistrats et la cassation est prononcée sur un moyen relevé d’office. Au visa de l’ensemble des articles 2224 du Code civil, L. 452-2, L. 452-3 et L. 452-4, alinéa 3, du Code de la sécurité sociale et L. 124-3 du Code des assurances, la Haute juridiction énonce une solution de principe. Il résulte en effet de l’ensemble de ces dispositions « qu'en l'absence de texte spécifique, l'action récursoire de la caisse à l'encontre de l'employeur, auteur d'une faute inexcusable, se prescrit par cinq ans en application de l'article 2224 du code civil et que son action directe à l'encontre de l'assureur de l'employeur se prescrit par le même délai et ne peut être exercée contre l'assureur, au-delà de ce délai, que tant que celui-ci reste exposé au recours de son assuré ».

Éléments d’analyse

La présente affaire témoigne d’abord d’une double procédure qui doit être mise en œuvre en cas de faute inexcusable de l'employeur. Très sommairement, cette faute inexcusable doit d’abord être reconnue en tant que telle, en vertu de l’article L. 452-4 du Code de la sécurité sociale, devant le tribunal compétent : en l’espèce, le tribunal des affaires de sécurité sociale, instance désormais supprimée par la Loi de modernisation de la justice du XXIe siècle (L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016). Il est à noter que la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur permet la majoration de la rente ou du capital alloué à la victime au titre de ses préjudices.

Ensuite, la CPAM a la possibilité d’exercer une action récursoire à l’encontre de l’employeur afin de récupérer les sommes versées à la victime en vertu des articles L. 452-2 et L. 452-3 du Code de la sécurité sociale (Cass. 2e civ., 15 févr. 2018, n° 17-12.567). S’il s’agit de l’assureur de l’employeur, la CPAM, tiers payeur, exercera alors une action directe à son encontre qui est une action attirée ouverte à toutes les personnes subrogées dans les droits de la victime dont le tiers payeur.

La difficulté soulevée par le présent arrêt était d’identifier, en l’absence d’un texte spécifique applicable, quel est le délai de prescription de l’action de la caisse contre l’assureur de l’employeur. Pour l’assureur, la prescription biennale du Code des assurances était applicable et l’action est donc prescrite. Si la Cour de cassation ne se prononce pas, l’argument est faux : il est de jurisprudence constante que l’action de la CPAM ne dérive pas du contrat d’assurance (Cass. soc., 19 oct. 2000, n° 98-17.811 : si l'article L. 431-2 du Code de la sécurité sociale soumet à une prescription biennale les actions en remboursement de prestations versées au titre de la législation sur le risque professionnel, cette disposition ne concerne que les prestations indûment versées à la victime).

Toutefois, ce n’est pas pour autant que le délai décennal de l’article 2226 du Code civil qui devrait s’appliquer et selon lequel « l'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans… ». Pour les Hauts magistrats, l’action de la CPAM contre l’assureur est une action relevant des dispositions de l’article 2224 du Code civil, une action personnelle et mobilière, qui se prescrit par cinq ans.

Enfin, selon la jurisprudence constante de la Cour, qui ne déroge pas en l’espèce aux solutions passées sur ce point, il est possible de dépasser ce délai de cinq ans tant que l’assureur reste exposé au recours de son assuré (Cass. 2e civ., 20 oct. 2021, n° 20-21.129 ; Cass. 2e civ., 10 févr. 2011, n° 10-14.148) qui confirme le caractère hybride de l’action directe par juxtaposition des délais.
Source : Actualités du droit